Orange (III)
Un ciel de feu, comme un hommage au 13 Novembre 2015
Je regardais la mer qui, à cette heure, se soulevait à peine d’un mouvement épuisé et je
rassasiais les deux soifs qu’on ne peut tromper longtemps sans que l’être se dessèche, je veux
dire aimer et admirer.Car il y a seulement de la malchance à n’être pas aimé : il y a du malheur
à ne point aimer. Nous tous, aujourd’hui, mourons de ce malheur. C’est que le sang, les haines
décharnent le cœur lui-même ; la longue revendication de la justice épuise l’amour qui pourtant
lui a donné naissance. Dans la clameur où nous vivons, l’amour est impossible et la justice ne
suffit pas. C’est pourquoi l’Europe hait le jour et ne sait qu’opposer l’injustice à elle-même.
Mais pour empêcher que la justice se racornisse, beau fruit orange qui ne contient qu’une pulpe
amère et sèche, je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intactes en soi une fraîcheur, une
source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette
lumière conquise.
(Albert Camus)
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